Ashley ! Il n'y a bien qu'elle et mon père pour m'appeler comme ça. Pour tous les autres, les amis, je suis C-J ... mais voilà, il en faut toujours qui croient connaitre mieux que moi ce qui me plait et ce qui me va.
Oui, je suis rebelle aussi. C'est un trait de caractère qui s'est immiscé en moi depuis que je suis sur Isla Novela. Mon premier fait d'arme a été de couper les ponts avec mon père. Pas de téléphone, pas de SMS, pas de mail ... Rien ! Et ça m'a fait le plus grand bien. Bon, à lui je ne sais pas, mais à vrai dire je suis encore dans une phase ou je m'en moque éperdument. Donc imaginez bien que quand Gina ... Gina, la fameuse Gina, journaliste etc ... s'est empressée de m'appeler pour me donner rendez-vous dès qu'elle a posé pieds sur l'atoll, j'ai faillit lui raccrocher au nez. D'autant que je ne l'ai jamais appréciée plus que cela. Passée dans le lit de papa après tant d'autres et avant d'autres également. Ça n'en faisait jamais qu'un numéro au milieu des autres. Bien qu'il y ait eu un truc que les autres n'avaient pas ... mais est-ce que ça avait compté ? Oui peut-être vu que je me souviens d'elle, ça doit être suffisant.
Lorsqu'elle sonne à la porte de la villa de mon ère donnant sur l'infinité turquoise du lagon, je l'accueille avec un large sourire. Un peu forcé, mais sans hypocrisie non plus. Après tout, elle rapportera tout à mon père. alors autant que je fasse bonne figure.
" Bonjour Gina !!! "
Je m'écarte pour lui laisser l'accès à la maison.

 J'essaie de faire bonne figure. Je sais que j'en suis capable, Cela m'est déjà arrivé de très nombreuses fois à L.A. dans le giron familial. Puis Gina n'est pas si terrible que ça. En réalité j'en veux plus à ma mère de nous avoir laissés mon père et moi donc forcément les filles qui ont gravité autour de mon père l'ont senti passé, mais elles n'y étaient pour rien. Alors Autant enterrer la hache de guerre et ne pas relevé les multiples questions qui tentent de mettre au clair la situation dans laquelle je suis et qui fera un rapport détaillé j'en suis sûre.
" Écoute Gina, je m'en sors très bien ici et j'ai pas besoin d'être chaperonnée par mon père ... tu sais tout ce que j'ai entrepris dans ma vie, il a fallut qu'il le régisse de près ou de loin alors pour une fois que je peux tenter un truc par moi-même ... "
J'espère qu'elle comprenne mon point de vue. Et encore la maison appartenait à l'éditeur de mon père qui la lui prêtait fréquemment. Donc d'un certain point de vue, je suis encore dépendante de lui. Mais j'ai envie de mettre Gina de mon côté. Ce serait plus simple si elle venait à comprendre ma vision des choses :
" Je sais que tu t'entends très bien avec lui et qu'il a du te demander de lui donner des nouvelles ou de me dire de l'appeler ou je ne sais quoi encore ... mais j'ai pas envie de l'avoir sur le dos ! "
Même s'il me manque terriblement !
Je fais le tour de la pièce, en joignant des gestes à la parole. Il est clair qu'ici il ne peut pas m'arriver grand chose de dangereux. Le luxe est complet dans la maison et même si j'y suis seule, j'ai des voisins on ne peut plus agréables sur qui je peux compter.
Enfin ... J'espère.

 Parfois j'ai du mal à cerner Gina. J'ai du mal à croire qu'elle n'espionne jamais personne, surtout si elle peut en tirer profit. D'ailleurs la plupart de ses articles elle espionne fouille et farfouille pour en tirer le plus de gloire possible ... si on peut appeler ça de la gloire. Visiblement elle s'attire aussi des ennuis avec ce genre d'articles, mais ça ne m'étonne pas réellement. Sauf que coupée du monde comme je le suis ici, je ne vois pas réellement de quoi elle veut me parler ni de quel article tendancieux elle me parle. Mais ce n'est pas réellement important.
" Dans ce cas ... "
Ses paroles, même si ce sont celles d'une journaliste à mes oreilles me réconfortent quelques peu. Je ne suis pas certaine qu'elle dira rien à mon père, mais après tout, je peux essayer de lui faire confiance et de lui laisser le bénéfice du doute.
J'opte pour lui faire visiter la maison dans un premier temps :
" On commence par la maison ! "
Chaque pièce y passe, les petites, les grandes, celles où j'ai pris mes quartiers comme celles que je n'ai même pas ouvertes. J'espère secrètement qu'elle ne me demandera pas à s'installer ici. Je préfère ma solitude ... pour quelques temps encore au moins.
Puis pour finir on sort par la large baie vitrée qui donne sur une terrasse en bois exotique surplombant le lagon et une plage privative de sable fin ou quelques vagues viennent lécher les rochers apparents.
" Et la vue ... "
Qui se passe de commentaires.

 Nous sortons sur la terrasse ou la chaleur tropicale se fait immédiatement sentir. Dans la maison le climatiseur fait son ambiance parfumée et rafraichissante, mais dehors, la moiteur de la jungle adossée à la montagne derrière la maison pèse de tout son poids. Je propose à Gina de prendre un rafraichissement sur la terrasse à l'ombre d'un cocotier. Et c'est sans hésitations que je réponds à ses questions. Elles sont un peu intrusives, mais je n'ai rien à cacher.
" Bientôt quatre mois ... "
J'en ai raté les exams de fin d'année et le début du deuxième semestre, mais au moins j'ai pu vivre l'esprit tranquille. Et si elle ne connait pas les tenants de mon départ, il n'en est pas autant concernant mon père.
" ... et la vie sans lui est plus harmonieuse que je le l'avais imaginée. C'est un peu sa faute tout ce qui est arrivé ! "
Dois-je entrer dans les détails et lui expliquer comment je me suis retrouvée dans le lit d'un autre homme et comment mon petit ami l'a appris ? Je sais, ce ne sont que des rumeurs, mais j'ai cru comprendre que mon cher père n'y était pas pour rien. Pour mon bien l'entends-je dire d'ici.
Mon bien ! Oui, il s'en moque sûrement éperdument.
" Il sait où je suis et c'est suffisant ... "
Je coupe court à toute volonté d'apaisement de ce côté-là ... pour l'instant.

 J'ai l'impression d'entendre mon père lorsqu'elle me parle de mon bonheur. Comment est-ce que elle - ou lui - peut savoir ce qui me rend heureuse ou ce qui ne fait pas mon bonheur ? Ils ne peuvent pas ! Voilà la seule réponse. Alors c'est vrai que tout d'un coup je sens que ma poitrine se réchauffe de douleur et de colère. J'ai envie de pleurer et de crier à la fois mon désespoir et ma haine d'avoir fait LA bêtise qui a nuit à mon bonheur justement. Alors en retenant mes larmes, je tente de lui raconter :
" J'avais un petit ami à L.A. et ... je l'ai trompé, une seule fois, et encore c'était ... "
Mais je ne parviens pas à trouver les mots justes pour dire que je suis tombée dans un piège.
" ... Bref, cette rencontre d'un soir a été organisée par mon père, et il s'est débrouillé pour que celui que j'aimais réellement, mais que lui n'a jamais pu encadrer, soit le témoin de tout ça ... "
Les preuves de ce que j'avance sont très délicates à fournir. Disons que c'est tout un faisceaux de présomptions qui se sont matérialisées à moi ces derniers mois en ayant pris du recul.
" Donc tu comprends que j'ai pas trop envie de le voir en ce moment. "
Je comprends pour ma part que Gina fera ce qu'elle a à faire, que ça me plaise ou non. Mais j'ai bon espoir qu'elle ne racontera pas mes confidences dans le détail à mon père. J'ai envie de régler ça seule pour une fois.

 Tout cela part sûrement d'un bon sentiment de sa part, mais j'ai pas franchement envie de reparler de tout ça car ça me mine l'esprit et le cœur. J'essaie d'oublier et j'y parviens petit à petit. Enfin ... "oublier" et un bien grand mot. J'essaie surtout de ne pas y penser car je devrais à jamais vivre avec. Mais je dois me reconstruire autrement. Les paroles de Gina ont beau être réconfortante, je n'ai pas le courage de me lancer dans un début de psychanalyse sur la terrasse d'une villa donnant sur l'un des plus beaux lagons du monde.
" Il n'a même pas voulu me parler. Je l'ai trahi et il est parti, le cœur serré mais brisé ! ... J'ai fait pareil de mon côté. "
Je sais que ça ne me le rendra pas et que cet exil ne me pardonnera pas à ses yeux, mais cela est important pour moi.
" ... mais j'attendrais pas quinze ans pour rentrer à L.A. J'ai des études qui m'attendent ! "
Et qui pour l'heure avancent sans moi. Je sais déjà que j'ai loupé mon dernier semestre et que ce ne sera pas rattrapable au prochain. Mais si je bosse bien jusqu'en septembre, peut-être que je pourrais réussir avec succès les épreuves de septembre.
Mais pour l'instant je n'y crois pas beaucoup.

 Un instant je me demande ce qu'elle veut. Pourquoi elle s'intéresse autant à moi et à ce que je fais. Je comprends qu'elle puisse être inquiète mais ...
" Qu'est-ce que ça peut te faire tout ça ! T'es pas ma mère que je sache ! "
Elle n'y ait pour rien, je le sais, mais ma colère qui resurgit m'aveugle et m'empêche de faire la part des choses. Je revois en elle celle qui s'est introduit dans le lit de mes parents. Mon inconscient y a sans doute vu la volonté de prendre la place de celle que j'aimais. Forcément je le lui renvoie à la face. Méchamment. Trop sans doute, pourtant de la part de n'importe qui j'aurais accepté qu'on m'aide de la sorte. Mais je suis une pauvre petite complètement déboussolée même si en apparence je montre les signes d'une fille qui sait ce qu'elle veut.
Et cette larme qui coule sur ma joue, que j'essuie d'un revers de main maladroit, prouve combien je suis perdue. Alex me manque, mon père aussi, quoi que j'en pense de lui et de ses manigances.
Je tourne mon regard vers Gina, mais la culpabilité qui monte en moi et trop grande pour que je puisse dire quoi que ce soit d'intelligent alors que des excuses aurait sûrement été les bien venues.
" Pardon ... je ..."
Balbutiè-je en gardant mes sanglots pour moi. Et telle une voleuse je prends mes jambes à mon cou, me défilant devant son regard, dévalant la volée de marche en bois qui mènent à la plage et courant vers le bord de l'eau où je me plante, prostrée, en prenant mes genoux et mon visage enfouis entre mes bras.

 Les yeux embués de larmes, je la sens venir contre moi. Je ne sais pas si c'est ce que j'attendais ou pas, mais toujours est-il que je la laisse faire, comme si j'avais envie qu'elle me prenne dans ses bras, ce qu'elle fait avec tendresse. Je me laisse aller et pose ma tête sur son épaule et je ne peux retenir plus mes larmes qui se mettent à couler et quelques instants plus tard j'éclate en sanglots ... Je ne me souviens pas que ma mère n'ait jamais fait ça et mon père n'y a jamais mis autant de douceur.
" Pardon Gina ... je ne voulais pas ... Je ne sais plus où j'en suis ... "
Petit à petit je comprends que je retourne ma colère vers la mauvaise personne, mais je profite de ces instants qui finalement m’apaisent. Il y en a eu peu sur l'île depuis que je suis arrivée et j'espère juste que j'aurais droit au bonheur.
Mes sanglots s'estompent et mes yeux finissent par s'assécher. Il se peut même que sur mon visage un léger sourire ait fait place à cette moue désagréable que j'ai du offrir à Gina depuis son arrivée. Je la serre à mon tour dans mes bras avant de me libérer de son étreinte et de lui faire face.
" Je ne connais pas grand chose de l'île en fait ... la maison, la plage et un peu le village ... pour le reste je suis beaucoup allée à Isla Novela par la navette du matin. Mais on peut découvrir Heavenly ensemble si tu veux !"
On m'a tant avertie sur les dangers d'Heavenly que je dois bien dire que j'ai un peu la trouille de partir en expédition dans la jungle. Pourtant on m'a aussi vanté la beauté de la grande cascade et du lac Paradis, mais ça n'a pas été suffisant pour me convaincre. Peut-être qu'avec Gina je me montrerai moins peureuse.